Le paradoxe de la carte grise de collection
L’acheteur doit être curieux.
Pour assurer à la fois la protection des intérêts du vendeur et ceux de l’acheteur lors de la vente d’un véhicule ancien, le vendeur est certes juridiquement tenu d’informer l’acheteur sur les caractéristiques de l’automobile qu’il lui vend mais ce dernier doit également se renseigner lui-même sur ce qu’il achète.
Car la démarche d’acquisition d’une automobile ancienne, de par les spécificités du « produit », comporte déjà en elle-même les indices d’un tempérament et d’une curiosité spécifiques qui distinguent nettement l’amateur d’anciennes de « Monsieur tout le monde », du consommateur « ordinaire » d’automobiles.
Aussi lorsqu’un acheteur mécontent se plaint ensuite de l’état de l’auto, il pourra parfois lui être reproché en retour de ne s’être pas suffisamment renseigné lors de l’achat.
Et le sort des contestations portant sur les véhicules dotés d’une carte grise collection est une bonne illustration de ce principe.
La position des Tribunaux
Les Tribunaux sont indiscutablement intransigeants à l’égard de l’acheteur d’un véhicule immatriculé en collection : tout recours en garantie pour vices cachés contre le vendeur est dans ce cas pratiquement exclu.
Cette règle sévère a été posée par une décision de la Cour d’appel de Paris (1) en s’appuyant sur les restrictions de circulation inhérentes aux véhicules anciens bénéficiant d’une carte grise « collection ».
Les extraits les plus significatifs de cette décision méritent d’être reproduits, d’autant qu’elle a par la suite été confirmée par la Cour de cassation (2) :
« Considérant que si, aux termes de l’article 1641 du Code Civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue, il s’agit de ceux qui rendent cette chose impropre à l’usage auquel les parties la destinent ou qui diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus;
Considérant que l’article 23 de l’arrêté du 5 novembre 1984, relatif à l’immatriculation des véhicules de plus de 25 ans d’âge, autorise ceux-ci à circuler sous couvert soit d’une carte grise normale soit d’une carte grise portant la mention « véhicule de collection » et précise :
« La mention « véhicule de collection » implique que « le véhicule ne peut circuler que lors des rallyes ou autres manifestations où est requise la participation de véhicules anciens. « Toutefois, à titre temporaire, les véhicule de collection sont autorisés à circuler dans les mêmes conditions que les véhicules couverts par une carte grise normale à l’intérieur d’une zone constituée par le département d’immatriculation et les départements « limitrophes ».
Considérant qu’il ressort de cette réglementation des conditions de circulation des véhicules anciens, comme celui acquis par Alain C…., que la carte grise avec la mention « véhicule de collection » lui indiquait suffisamment par elle-même que l’usage auquel le véhicule est destiné était particulièrement restreint;
Qu’il ne démontre nullement que le véhicule n’était pas apte à l’usage ainsi spécifié;
Qu’en modifiant unilatéralement la destination du véhicule à l’occasion de l’immatriculation de celui-ci, Alain C…. se plaçait hors du champ des obligations que le concours des volontés des parties à la vente s’étaient fixé pour un véhicule de collection; Qu’il ne peut, dès lors, exiger, même du vendeur professionnel, le bon état de fonctionnement et d’entretien qu’il pourrait attendre d’un véhicule normal;
Un double risque pour l’acheteur
Contrairement au véhicule ancien bénéficiant d’une carte grise normale, le véhicule circulant sous couvert d’une carte grise collection est donc présumé comporter des déficiences qui limitent son usage.
D’un point de vue strictement juridique, l’auto immatriculée en collection est considérée comme n’étant destinée qu’à un usage restreint, prudent et occasionnel.
Or, à la différence de la voiture d’occasion de plus de 4 ans pour laquelle le vendeur doit justifier à l’acheteur d’un contrôle technique datant de mois de 6 mois, les transactions en matière de véhicules immatriculés en collection en sont dispensées.
L’acheteur d’un tel véhicule se trouve donc exposé à un double risque, le premier engendrant le second : celui d’être moins bien renseigné sur son état général, faute de contrôle, et celui de se voir opposer une fin de non-recevoir dans un éventuel recours en cas où un vice caché viendrait à se révéler…
C’est le paradoxe de la carte grise de collection.
Le recours à l’expertise
Compte tenu de la situation, on ne peut que vivement conseiller à celui qui entend se rendre acquéreur d’un véhicule immatriculé en collection, s’il ne dispose pas des connaissances ou des moyens d’investigations nécessaires pour se forger une opinion lucide sur son état, de requérir l’expertise d’un professionnel.
L’acheteur pourra obtenir ce conseil en sollicitant du vendeur qu’il présente le véhicule à un contrôle technique volontaire (par opposition aux cas où le contrôle est réglementairement obligatoire) dans un centre agréé, ou mieux, en mandatant lui-même un expert automobile, de préférence spécialisé en véhicules anciens.
De cette manière, plus de mauvaises surprises.
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(1) C.A Paris, 6 novembre 1991, D.1992, I.R p.4
(2) Cass., 1ère Civ. 24 novembre 1993, Jurisp. auto. 1994, p. 200