La pratique de l'expertise judiciaire automobile

LA PRATIQUE DE L’EXPERTISE JUDICIAIRE AUTOMOBILE

Après l’acquisition d’un véhicule automobile, l’acheteur peut se rendre compte plus ou moins rapidement de certains défauts ou de non-conformités. A l’occasion de travaux d’entretien périodique ou de réparations de son véhicule confiés à un garagiste, son propriétaire peut constater des défauts, des pannes ou des dysfonctionnements. Que faire alors ? De tels défauts pou non-conformités nécessitent d’être prouvés pour faire valoir ensuite ses droits. En pratique, pour dépasser le simple ressenti, une réaction émotionnelle et les dénégations des parties, cela nécessite le plus souvent de faire appel à un sachant extérieur au litige et indépendant, l’expert judiciaire. Comment mettre en place une expertise judiciaire et comment se déroule-t-elle ?

Quand un acheteur est mécontent du véhicule neuf ou d’occasion qu’il vient d’acquérir, parfois lorsqu’il tombe en panne peu après la vente, voire le jour-même de la vente, il a tendance à adresser une réclamation au vendeur sur la base de ses propres constatations et impressions, en joignant par exemple des photographies ou un nouveau procès-verbal de contrôle technique indiquant de nombreux défauts. Cette première réaction est utile mais un accord ultérieur entre les parties nécessite souvent l’avis d’un tiers expert qui pourra émettre un avis éclairé sur les défauts ou non-conformités du véhicule. La mise en place d’une expertise amiable en dehors de toute action judiciaire est possible, mais elle n’aboutit pas toujours à un accord amiable et rapide des parties. De plus, les tribunaux ont tendance à exiger un rapport d’expertise judiciaire établi par un expert indépendant des parties pour pouvoir trancher un contentieux au fond.

 

Quel est le rôle d’une expertise judiciaire ?

Face à des défauts avérés du véhicule ou des non-conformités, parfois des vices mécaniques graves, la solution pratique pour la partie qui s’estime lésée consiste à mettre en place une expertise judiciaire en saisissant le Juge des référés avant tout procès au fond, par exemple dans l’optique d’obtenir la résolution judiciaire de la vente ou bien pour obtenir la condamnation du garagiste dont la faute est établie par l’expertise à des dommages et intérêts lorsque des réparations n’ont pas été effectuées conformément aux règles de l’art et aux préconisations du constructeur.

Parfois, lorsque le rapport d’expertise judiciaire est déposé au Tribunal, les avocats des parties peuvent se concerter et convenir d’un accord transactionnel afin de clôturer le litige rapidement et d’éviter aux parties un procès devant le juge du fond.

Plus rarement, la demande d’expertise judiciaire peut être demandée pendant le cours d’un procès au fond en tant que mesure d’instruction, généralement devant le Tribunal judiciaire. Cela arrive si les parties ne peuvent pas présenter de moyens de preuve suffisants, par exemple s’il n’y a eu qu’une expertise amiable bâclée et incomplète. Le juge a alors besoin de l’avis technique d’un expert judiciaire pour l’éclairer sur l’affaire et les défauts du véhicule.

L’expertise éclaire le juge, qui n’a pas à la base de compétences techniques, sur une question purement technique. L’avis de l’expert, qui ne lie pas le juge, l’aide à rendre son jugement. L’expert judiciaire est un technicien spécialisé dans un domaine particulier. Il est chargé de donner un avis au juge sur des points techniques dont dépend la solution d'un litige.

L'expert est inscrit sur une liste nationale des experts par spécialités. Chaque cour d'appel établit aussi sa propre liste d'experts judiciaires. En matière automobile, il existe bien entendu plus d’experts automobiles compétents pour examiner les véhicules modernes. Pour les véhicules de collection, ils sont plus rares. Il peut donc être judicieux pour l’avocat de suggérer au juge un ou plusieurs experts qui sont plus compétents en matière de véhicules anciens. Le juge peut désigner un expert inscrit sur une liste d'une Cour d'appel qui n'est pas dans son ressort, ce qui se comprend si le véhicule ancien est stocké dans une autre région par exemple où aura lieu l’expertise.

La demande de désignation d’un expert judiciaire se fait par voie d’assignation en référé devant le Juge des référés, le plus souvent au lieu où réside la partie adverse ou au lieu où se situe le véhicule à expertiser. Si elle est faite pendant un procès, la demande se fait par des conclusions de l’avocat de la partie qui demande l’expertise.

C’est à l’avocat de la partie qui demande l’expertise sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile de prouver un « intérêt légitime » à une telle demande. Il faut notamment produire quelques premiers éléments sur les défauts constatés, par exemple un diagnostic d’un garage, un devis de remise en état et des photographies ou autres éléments de preuve. Il faut aussi démontrer au juge que l’expertise sera utile pour un futur procès au fond, par exemple pour obtenir la résolution de la vente ou pour engager la responsabilité d’un garagiste réparateur. L’avocat rédige avec soin dans l’assignation les termes de la mission de l’expert souhaitée et cela au cas par cas.

Généralement, dans sa mission, l’expert peut s’adjoindre tout sachant et autre technicien spécialisé, que l’on appelle un « sapiteur », pour l'assister dans l'accomplissement de sa mission. Le juge fixe un délai dans lequel l'expert devra déposer son rapport, généralement quatre mois en matière automobile, ce délai étant renouvelable.

Le juge décrit précisément dans son jugement, en tenant compte de la mission souhaitée par le demandeur, la mission de l’expert, les points à éclaircir et les questions auxquelles il doit répondre. Il indique les éléments ou les faits sur lesquels l'expert doit se prononcer, par exemple l'origine des défauts constatés et le coût de remise en état pour y remédier.

 

Le déroulement des opérations d’expertise judiciaire

Le déroulement de l’expertise judiciaire est encadré par des règles, notamment les articles 263 à 284-1 du Code de procédure civile. L’expert, dans le cadre de sa mission fixée par l’ordonnance de référé doit toujours veiller au respect du principe du contradictoire.

L'expert ne donne qu'un avis technique, il ne donne aucune appréciation juridique, car l’appréciation des responsabilités relève des seuls pouvoirs juridictionnels du juge. Le juge en pratique suit le plus souvent l’avis de l’expert, mais il peut s’en écarter, ce qui arrive lorsque le rapport d’expertise comporte des contradictions ou des incohérences. Pour un véhicule de collection de plus de cinquante ans, il est parfois difficile pour l’expert de déterminer si un vice caché comme un vice mécanique interne du moteur était présent ou non avant l’achat du véhicule. Il émet alors des hypothèses qui sont soumises à la discussion des parties.

Avant de débuter son expertise, l’expert vérifie que la consignation dont le montant est fixé par le juge et qui est généralement d’environ 1500 à 3000 euros selon les affaires, destinée à garantir le paiement de ses honoraires, a bien été versée à la Régie du Tribunal par la partie qui en a la charge, le plus souvent le demandeur à l’expertise. Tout au long de sa mission d'expertise, l'expert peut demander le paiement d'une consignation complémentaire, ce qui est fréquent en pratique.

Les parties sont invitées à participer aux opérations d'expertise, assistées de leur avocat et éventuellement de leur propre expert automobile. Si une partie convoquée refuse de participer et d’être représentée, l’expertise est réputée contradictoire à son égard.

L'expert doit convoquer les parties et leurs avocats à une réunion pour prendre connaissance du dossier et écouter l’exposé des circonstances de l’affaire et les observations des parties. Il réalise les constations techniques en leur présence selon le principe du contradictoire.

Le greffe transmet le dossier de procédure à l'expert qui peut également se faire communiquer par les avocats des parties tous les documents qu'il estime utiles. L'expert fixe un délai aux parties pour qu'elles lui communiquent leurs observations par écrit que l’on appelle des « dires ».

Le respect du contradictoire implique que chaque partie peut exposer son point de vue et discuter des preuves, faits et arguments liés à l'affaire concernée. Si une partie évoque des documents ou fait des observations à l'expert, celles-ci doivent être impérativement communiquées à l'ensemble des parties. De même, l'expert doit communiquer à toutes les parties ses notes et observations et son pré-rapport pour recueillir les observations des parties.

Pour l’expertise d’un véhicule automobile, en général une seule réunion est nécessaire, mais l’expert peut convoquer les parties à une seconde réunion en pratique, par exemple pour valider ou infirmer un point technique, effectuer un démontage complémentaire ou pour permettre à un professionnel d’évaluer le montant des réparations et d’établir un ou des devis de remise en état. L’expert judiciaire est souvent chargé dans sa mission de déterminer le coût de remise en état du véhicule.

La première réunion d’expertise se déroule ainsi en pratique : l’expert réunit les personnes présentes dans une salle de réunion, fait signer une feuille de présence et permet à chaque personne de se présenter que ce soit une partie, son avocat ou son expert automobile personnel.

Ensuite, l’expert rappelle les termes de sa mission telle que fixée par le juge. Il fait des observations sur le contexte de l’affaire, étant précisé qu’avant la réunion il a généralement reçu des pièces des avocats des parties, et permet aux parties et leurs conseils de s’exprimer sur l’affaire. Généralement, l’expert doit retracer l’historique du véhicule avec les entretiens et les réparations effectuées dans le passé. Pour un véhicule de collection ancien de plus de trente ans d’âge, son propriétaire est souvent incapable de fournir des factures sur les entretiens et réparations passées sur une longue période, surtout s’il a acquis récemment le véhicule et que le vendeur ne lui a rien fourni sur son historique. L’expert doit alors mener un examen minutieux du véhicule pour découvrir des traces de chocs, des traces de réparations anciennes ou des pièces détachées changées au fil du temps. Il peut récupérer certaines données auprès de l’Administration, mais cela n’est pas possible pour les véhicules récemment importés de l’étranger.

Pour un véhicule moderne, l’expert fait généralement effectuer un branchement avec une valise électronique ou un ordinateur pour se connecter au système du véhicule. Un rapport comportant la liste des défauts enregistrés dans le système du véhicule peut être édité. Il est alors soumis à un débat contradictoire.

Pour un véhicule ancien, l’expert ne peut pas brancher la valise électronique pour obtenir un rapport sur les codes défauts présents sur le véhicule. Il doit donc opérer à l’ancienne en se fondant sur des constatations sur le véhicule et ses éléments. C’est par exemple en faisant ouvrir le moteur par un technicien que l’expert détermine son état d’usure. Souvent, un prélèvement d’huile moteur est envoyé à un laboratoire pour analyse. La présence de limailles métalliques dans l’huile est le signe d’une usure avancée du moteur, parfois à cause d’une huile moteur usagée et non remplacée en temps voulu. Des outils permettent aussi de tester l’état des planchers. Parfois, en testant le châssis avec un tournevis, il passe à travers, ce qui est le signe d’une corrosion avancée !

Après cette réunion, l’expert et les personnes présentes examinent le véhicule au sol et aussi systématiquement sur un pont élévateur. Le dessous d’un véhicule révèle l’état du châssis, des bas de caisse, des trains roulants, de la suspension et parfois des traces d’accidents anciens, des fuites d’huile ou des réparations anciennes plus ou moins bien faites. C’est le reflet d’un plus ou moins long usage sur la route. L’expert recherche aussi la plaque du constructeur, les frappes à froid du numéro de châssis et les numéros présents sur le véhicule. Il vérifie la conformité des éléments du véhicule, par exemple qu’il est doté de son moteur d’origine. Dans une affaire, l’expert examinait une Jaguar MK II 3,8L et fut étonné de constater qu’elle était équipée d’un moteur 4,2L de Jaguar Type E, une non-conformité évidente et une modification notable permettant d’annuler la vente. A l’aide d’un technicien, il faut parfois procéder à des démontages, notamment du moteur pour évaluer les causes d’une casse moteur ou de son usure prononcée.

A la fin de la réunion, l’expert fait un compte rendu de ses constatations et fournit un premier avis aux personnes présentes qui peuvent s’exprimer. Un procès-verbal peut en être dressé.

Par la suite, l’expert adresse généralement une note technique d’étape retraçant ce qui a été constaté lors de la réunion d’expertise. Les avocats des parties peuvent alors faire des observations écrites par des « dires » en mettant en avant leurs arguments et leurs critiques auxquels l’expert doit répondre et qui seront annexés au rapport final.

Lorsque l'expert a presque achevé sa mission, il établit un pré-rapport pour permettre aux parties d'adresser des observations écrites qui seront annexées au rapport d’expertise, des « dires ». Les parties doivent respecter le délai fixé par l'expert pour faire leurs observations sur ce pré-rapport.

Après avoir tenu compte de ces dires, il établit un rapport d’expertise judiciaire qui est déposé au Tribunal avec ses annexes à l’attention du Juge. Ce rapport est communiqué à toutes les parties. Il marque la fin des opérations d’expertise judiciaire.

Si les parties ne parviennent pas à conclure une transaction, alors ce rapport d’expertise judiciaire sera la pièce centrale du futur procès au fond.

 

Recours possibles et difficultés diverses

Au stade du référé, il arrive qu’une partie souhaite contester l’ordonnance de référé qui a désigné l’expert et définit sa mission. C’est parfois le cas lorsqu’une partie conteste les termes de la mission. Un appel est possible devant la Cour d’appel.

Dans le cas d’une expertise demandée au cours d’un procès au fond et qui serait refusée, il faut généralement attendre le jugement pour faire appel est contester celui-ci.

Il arrive aussi en cours d’expertise judiciaire qu’une partie conteste le champ de la mission et demande une modification ou une extension de la mission de l’expert ou bien soulève des incidents comme la demande de considérer une pièce produite irrecevable. Elle formule cela auprès du juge du contrôle des expertise, qui rend alors une ordonnance. Cela peut permettre à l’expert d’étendre ses investigations par exemple à l’ensemble d’un véhicule où de la corrosion perforante est découverte alors que sa mission était limitée au défaut évident du train avant. Le juge peut demander à l'expert d'exposer verbalement son avis à l'audience, ce qui arrive en pratique lorsqu’il s’agit de modifier le champ de sa mission.

En cours d’expertise, si l'une des parties rencontre des difficultés, par exemple si le délai est très long ou en cas d’absence de communication de pièces par l’autre partie, le juge du contrôle des expertise peut en être informé. Une difficulté est apparue dans une affaire dans laquelle le garage assigné était défaillant et était resté taisant. Le juge a ordonné une expertise et lors de la réunion d’expertise fixée dans les locaux de ce garage, l’expert, le demandeur et son avocat ont constaté avec surprise que le garage avait cessé son activité, que les locaux avaient été totalement vidés et que le véhicule laissé pour réparations qui devait être expertisé avait disparu. Des peintres étaient en train de repeindre les lieux pour une autre entreprise. Le juge a été avisé de cette difficulté assez inhabituelle.

Une fois que l’expert judiciaire a été désigné, le juge des référés lui donne habituellement un délai de 4 mois pour mener son expertise et déposer son rapport. Un rapport peut donc être obtenu dans les affaires simples au bout de quelques mois. Il permet alors aux parties de tenter de transiger. A défaut, il faut saisir le Tribunal judiciaire sur le fond de l’affaire. Celui-ci peut mettre environ un an pour juger l’affaire au fond, sauf complications. Le jugement est généralement exécutoire de plein droit, ce qui signifie qu’il doit être exécuté même si la partie perdante fait appel. En cas d’appel, la procédure est prolongée parfois de deux ans car les Cours d’appel sont fort encombrées.

Dans les cas compliqués, la procédure peut s’allonger, notamment en cas de contestation de l’ordonnance de référé par un appel qui sera alors jugé par la Cour d’appel. De même, pendant l’expertise, en cas de contestation devant le juge du contrôle des expertises, par exemple pour étendre la mission de l’expert, le juge doit alors statuer par ordonnance. Un recours devant la Cour d’appel est possible, ce qui rallonge encore la durée totale de la procédure, qui peut donc en pratique durée plusieurs années dans les affaires complexes. Ces considérations montrent qu’il est donc souhaitable de conclure une transaction après le dépôt du rapport d’expertise afin de clôturer rapidement le litige et d’éviter un procès au fond, si les parties ont en la volonté, ce qui n’est pas toujours le cas.

Avec le dépôt du rapport, l'expert joint à l’attention du Juge sa demande de rémunération qu'il doit communiquer également à toutes les parties. Les parties ont 15 jours pour faire leurs observations écrites à ce sujet. Des contestations peuvent être soulevées devant le Juge en cas de désaccord sur la rémunération de l’expert. Passé ce délai, le Juge fixe la rémunération de l'expert par une ordonnance en fonction des actes accomplis, du respect des délais et du travail fourni.

Après réception du rapport d’expertise, une partie peut demander une contre-expertise si elle conteste tout ou partie du rapport, mais il faudra convaincre le Juge que cela est nécessaire.

Après le dépôt du rapport d’expertise judiciaire et à défaut de transaction entre les parties, la partie qui s’estime lésée sera contrainte d’assigner au fond la partie adverse afin de faire valoir ses droits et que le Tribunal saisi tranche le litige entre les parties.

 

Me Grégoire Marchac

Avocat au Barreau de Paris


Vice caché

J’ai acheté une voiture neuve il y a un peu plus de 3 ans et le moteur vient de casser.
Le mécanicien m’a indiqué qu’il s’agissait d’un défaut de fabrication connu sur ce modèle et a chiffré la réparation à 3.500 €. Le constructeur refuse de la prendre en charge au motif que la garantie était de 3 ans. Ai-je recours ?

la réponse de Fabien KOVAC, Avocat au Barreau de Dijon

Le constructeur se retranche derrière la garantie contractuelle de 3 ans qu’il vous a accordée pour refuser, dans la mesure où elle n’est plus en cours, de prendre en charge les réparations de votre véhicule.

Il semble oublier, sans doute volontairement, qu’il est tenu, en plus de la garantie contractuelle qu’il a consentie, à la garantie légale des vices cachés prévue par le Code Civil.

Tout vendeur est en principe tenu de cette garantie ce qui implique qu’il doit prendre en charge le coût de la réparation si un vice caché apparaît.

Pour que l’existence d’un tel vice soit reconnue, il faut que ce vice existe au moment de la vente, qu’il soit non décelable par un acquéreur profane et qu’il soit d’une certaine gravité. Il semble que dans votre cas ces trois critères soient réunis.

Avant d’engager une procédure qui pourra s’avérer longue et coûteuse, essayer de négocier une prise en charge au moins partielle des réparations par le constructeur ce qui sera d’autant plus facile que la panne est connue sur votre modèle de véhicule.


Devis et montant de la facture du garagiste

Mon garagiste a établi un ordre de réparation pour diverses réparations sur ma voiture. A-t-il le droit de revoir ce chiffrage à la hausse ?

la réponse de Fabien KOVAC, Avocat au Barreau de Dijon

Non, le garagiste ne peut pas exiger davantage que la somme qui figure sur cet ordre de réparation sans avoir obtenu votre accord au préalable. L’ordre de réparation permet justement de savoir à quoi on s’engage.

L’ordre de réparation doit être signé par le garagiste et le client. Il est la preuve du travail demandé.


Le sort des réparations non commandées à son garagiste

Une décision de la Cour de cassation (1) vient une nouvelle fois illustrer la relative complexité des principes de droit gouvernant les rapports qui se nouent entre le garagiste et son client.

Retraçons en premier lieu les contours du litige survenu entre un garagiste et son client. Le client avait refusé de règler le coût de réparations supplémentaires d'un montant de 4.154,07 francs non prévues à l'origine dans le devis établi par le garagiste. Ce dernier a alors engagé une action devant le Tribunal pour obtenir le paiement des travaux litigieux.

Le Tribunal a cependant purement et simplement débouté le garagiste de sa demande. Celui-ci a donc introduit un pourvoi devant la Cour de cassation en soutenant que le Tribunal aurait dû rechercher si les travaux en cause, bien que non prévus au devis, n'étaient pas indispensables pour que le garage puisse satisfaire à l'obligation de résultat qui lui incombait.

La Cour de cassation s'est cependant montrée intransigeante et a pleinement approuvé la décision du Tribunal en jugeant que le garagiste ne pouvait réclamer paiement de travaux qui n'étaient pas prévus au devis et qui avaient été effectués sans l'accord préalable de son client.

Rappel de quelques principes

C'est dans notre Code civil, aux articles 1779 et suivants du chapitre III intitulé "Du louage d'ouvrage et d'industrie" que se trouve l'essentiel des principes de droit qui gouvernent les obligations du réparateur automobile.

Depuis plusieurs années, les Tribunaux ont tendance à accentuer la responsabilité du réparateur en considérant qu'il est tenu d'une obligation de résultat plutôt que d'une simple obligation de moyens.

Cette distinction peut se résumer ainsi : lorsque l'on considère qu'un professionnel est tenu d'une obligation de résultat (le résultat étant dans le cas du garagiste celui de "réparer la panne") le simple fait qu'il ne parvienne pas ou mal à ce résultat implique que sa responsabilité est présumée. Le garagiste ne pourra ainsi s'exonérer de sa responsabilité qu'en prouvant qu'il n'a pas commis de faute. En revanche, pour les professionnels pour lesquels on considère qu'ils ne sont tenus que d'une obligation de moyens (l'exemple type est celui du médecin qui ne peut évidemment garantir la guérison), le seul fait qu'ils ne parviennent pas au résultat attendu ne saurait faire présumer de leur responsabilité : il incombera alors au client insatisfait de prouver que le professionnel avec lequel il est en conflit n'a pas apporté à son travail tous les soins qu'on pouvait légitimement attendre.

Dans cette logique, il a notamment été jugé que le garagiste ne devait pas se limiter aux seules indications données par le propriétaire du véhicule, qui n'est pas un professionnel, et qu'il devait en conséquence effectuer un diagnostic complet des réparations à accomplir pour permettre son usage normal.

Un garagiste a par exemple été condamné à rembourser le changement complet du moteur d'un véhicule tombé en panne 150 km après une intervention consistant au changement de sa culasse sur les indications erronées du client qui avait confondu (!) le témoin de pression d'huile et l'indicateur de température d'eau (2).

Si la défaillance d'un organe mécanique rend nécessaire une nouvelle intervention après une première réparation, il appartient alors au garagiste de démontrer que l'usure de la pièce défectueuse n'exigeait pas qu'elle fût remplacée lors de la première intervention (3).

De même, le client ne saurait être condamné au paiement d'une partie du prix d'une intervention tenant compte "du travail et des prestations effectuées" si l'objet réparé ne fonctionne pas après l'intervention du réparateur (4).

Ordre de réparation et devis

Ceci dit, en principe, le contrat unissant le garagiste à son client est un contrat consensuel, c'est-à-dire qu'il n'est soumis à aucune forme déterminée et obligatoire pour sa validité : c'est pourquoi il a été jugé que l'établissement d'un devis descriptif n'est pas nécessaire à son existence (5).

Aussi, à défaut d'accord certain sur le montant dû pour les travaux, la rémunération peut être fixée par le juge en fonction des éléments du dossier qui lui sont soumis (difficulté de l'intervention, temps passé etc....(6).

Il reste qu'en l'absence d'ordre de réparation ou de devis écrit, en cas de litige, il se pose systématiquement un problème de preuve de l'accord du client sur la nature et le coût des travaux réalisés et dont le réparateur demande le règlement.

Et à ce propos, l'enseignement principal que l'on peut tirer de la décision de Justice rapportée ci-dessus, c'est que s'il n'est pas obligatoire, le devis lie le réparateur. Celui-ci ne peut entreprendre des travaux autres que ceux prévus ou facturer un coût plus élevé sans avoir préalablement requis un nouvel accord de son client.

La sécurité d'abord

Enfin, il convient de préciser que les obligations qui sont mises à la charge du garagiste le contraignent, lorsqu'il met au jour une défectuosité qui met la sécurité d'utilisation du véhicule en jeu, à en avertir formellement son client. Si ce dernier refuse de laisser le réparateur entreprendre les travaux nécessaires, le garagiste aura tout intérêt à conserver la preuve de ce qu'il a dûment informé son client des risques encourus.

Dans cette hypothèse, on ne saurait donc trop recommander au garagiste de mentionner le défaut en question sur la facture en attirant par écrit l'attention de son client sur le danger.


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(1) Cass. 1ère civ., 25 mars 1997, Jurisp. auto. 97 p.424
(2) Versailles, 15 avr.1988, D. 1988 IR 152
(3) Cass. 1ère civ., 12 janvier 1994, J.C.P 1994.II 22294
(4) Cass. com.,6 juil.1993, Bull.civ. IV, n° 280
(5) Cass. civ. 23 oct. 1945, D.1946.19 - Cass. 3ème civ., 18 juin 1970, D.1970. 674
(6) Cass. 1ère civ., 4 oct.1989, Bull. civ. I n° 301- 1ère civ., 24 nov.1993, Bull. civ. I n° 339


Réparateur automobile : une profession réglementée

Résumons l'évolution récente de la législation sur la profession de réparateur auto : n'est plus garagiste qui veut...
Certains en seront peut être surpris mais ce n'est que très récemment que la Loi est venue poser des conditions à l'exercice de la profession de garagiste.

Jusqu'alors, du mauvais bricoleur au plus génial technicien, chacun avait la liberté d'ouvrir son échoppe, d'acquérir quelques outils et de se lancer dans le métier de réparateur automobile. Cela pouvait apparaître d'autant plus curieux que pour certaines autres professions, par exemple celle de coiffeur, il n'était plus question depuis longtemps de les exercer sans qualification professionnelle reconnue.

Or, on ne pourra disconvenir de ce que s'agissant du risque encouru en se rendant chez un mauvais coiffeur - qui certes est important (!...) - il ne saurait être comparé à celui auquel est exposé l'automobiliste qui confie la remise en état des freins de son véhicule à celui qui n'a jamais vu un bocal de purge.

Bref, le temps était venu de mettre un peu d'ordre.

Les nouveaux principes

Dans notre Droit, les réformes sont souvent inaugurées dans une loi qui en fixe les grands principes, les modalités d'application étant ensuite déterminées par un décret.

Au cas particulier, c'est l'article 16 d'une loi du 5 juillet 1996 (1) qui a posé le principe selon lequel les activités d'entretien et de réparation des véhicules et des machines (les activités de carrossier et de réparateur de motos sont évidemment comprises) ne peuvent être exercées que par une personne qualifiée professionnellement ou sous le contrôle effectif et permanent de celle-ci et ce, quels que soient le statut juridique et les caractéristiques de l'entreprise.

Bref, inutile d'espérer pouvoir contourner les exigences légales en constituant une société ou en adoptant un autre montage juridique : un garage ne peut plus être exploité sans la présence d'un professionnel qualifié de la réparation.

De quelles qualifications doit-il justifier ?

Les modalités d'application
Pour tenir compte d'une réalité indiscutable - le fait que ceux qui ont beaucoup forgé sont devenus de bons forgerons - il ne pouvait être question de priver de travail les réparateurs ayant appris le métier sur le tas et qui exploitaient souvent depuis des années un garage.

Il a donc été prévu que les personnes qui, à la date de publication de la loi, soit au 6 juillet 1996, exerçaient effectivement l'activité, comme salarié ou à leur compte, étaient réputées justifier de la qualification requise.

En outre, un décret d'application du 2 avril 1998 (2) est venu compléter ce dispositif en prévoyant que :

1) Les personnes qui exercent l'activité de réparation ou qui en contrôlent l'exercice par des personnes non qualifiées doivent être titulaires d'un CAP, d'un BEP ou d'un diplôme ou d'un titre homologué de niveau égal ou supérieur,
2) A défaut de diplômes ou de titres homologués, ces personnes doivent justifier d'une expérience professionnelle de trois années effectives du métier, expérience qui peut être validée à tout moment dès lors que l'intéressé peut en justifier, par tous moyens. Sur demande et après vérification des conditions, le Préfet du département du lieu de leur domicile leur délivre une attestation d'expérience professionnelle.

Enfin, s'agissant des personnes qui ont commencé à exercer l'activité entre le 5 juillet 1996 (date de la loi) et le 3 avril 1998 (date de publication du décret), elles disposent d'un délai de 3 ans à compter de leur début d'activité pour satisfaire aux conditions ci-dessus (obtention d'un diplôme ou de l'expérience professionnelle effective de 3 ans).

Sanctions pénales

L'article 24 de la loi du 5 juillet 1996 punit d'une amende de 50.000 francs le fait d'exercer à titre indépendant ou de faire exercer par l'un de ses collarorateurs l'activité de réparateur automobile sans disposer de la qualification professionnelle exigée ou sans assurer le contrôle effectif et permanent de l'activité par une personne en disposant.

L'assurance du garage

Rappelons pour terminer que si l'accès à la profession est resté libre très longtemps, l'obligation pour tous les réparateurs de souscrire une assurance de responsabilité civile pour les dommages causés aux tiers par les véhicules confiés avait quant à elle été instaurée depuis des années (3).

Outre que le défaut d'assurance obligatoire est pénalement sanctionné, on ne saurait trop insister sur l'impérieuse nécessité de conclure un contrat offrant des garanties beaucoup plus étendues.

En effet, le plus consciencieux des professionnels n'est jamais à l'abri d'une erreur et force est d'insister sur le fait qu'une faute même légère peut entraîner des conséquences financières graves, et ce en l'absence de tout accident du client avec le véhicule réparé : un écrou de bielle mal serré sur un moteur de voiture de sport et voilà le bénéfice annuel qui s'envole....

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(1) Loi n°96-603 du 5 juillet 1996, JO du 6 juillet 1996, p.10199
(2) Décret n°98-246 du 2 avril 1998, JO du 3 avril 1998 p.5171
(3) Article R.211-3 du Code des assurances